Jean LartéguyLe photographe a suivi. Pourquoi ? Il dira plus tard : parce que ça avait une sacrée gueule ce petit capitaine qui, dans un coucher de soleil, montait tout seul, à l’assaut d’une mitrailleuse, sans se soucier d’être suivi. Il a fait cette photo de Julien mourant dans le sable. Votre fils, monsieur, n’a souffert que quelques minutes, entouré de ses hommes le fusil à la main. Dans le lointain, des coups de feu. On exécutait les derniers méharistes de l’Adrar. Raspéguy arriva avec le renfort, mais trop tard. Julien avait rendu l’âme. Le photographe qui s’était accroupi à côté du capitaine m’a affirmé qu’il l’a entendu dire, encore dressé sur un coude : « La vie, quel rêve idiot ! » Ensuite il s’est affaissé avec un long soupir de soulagement.
Les parachutistes ramassèrent toutes les armes ennemies, tous les cadavres, et dans une sorte d’hommage barbare à leur chef, ils en firent un tas aux pieds du capitaine. Certaines pleuraient. Voilà ce que je sais, Monsieur. Mais j’ignore si Julien a voulu mourir ; c’était bien possible après tout. En tout cas, il a réussi sa mort, puisqu’ à cause d’elle, elle est devenue un symbole
Les Prétoriens (1961)