Portant la marque d’un groupe criminel marocain
Le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, serait la cible d’un projet d’attentat
Par Thomas saintourens et jean pierre stroobants
Des sources officielles à La Haye ont confirmé, lundi 27 septembre, des informations du quotidien De Telegraaf révélant que le premier ministre démissionnaire, Mark Rutte, bénéficiait d’une protection très rapprochée à la suite des rumeurs d’attentat ou d’enlèvement le concernant.
Selon le journal, ce sont des milieux liés à la grande criminalité qui envisageaient une action spectaculaire contre le chef du gouvernement.
Des détails sur un projet seraient parvenus au début du mois aux services de sécurité. « Elles sont prises très au sérieux », a fait savoir anonymement une source à différents médias. Au cours des derniers jours, des individus
auraient effectué des repérages dans le voisinage de M. Rutte.
Le Parquet national, responsable de l’enquête, garde le silence sur les mesures mises en place afin d’assurer la protection du premier ministre. On sait toutefois que M. Rutte est désormais sous la surveillance d’une unité d’élite, le service de protection royale et diplomatique, ce qui confirme le sérieux de l’affaire. Le coordinateur de la politique antiterroriste, PieterJaap Aalbersberg, s’abstenait de tout commentaire lundi. Il aurait rencontré récemment le chef du gouvernement pour évoquer sa protection.
Jusqu’ici, M. Rutte, adepte du vélo en solitaire dans les rues de La Haye, s’était opposé à l’idée d’être accompagné de gardes du corps, mais il aurait fini par céder.
Interrogé lundi par des journalistes, il a indiqué : « Nous ne parlons jamais de notre sécurité. » Aux PaysBas, ministres, députés ou magistrats se déplacent souvent seuls, mais des mesures ont été prises au cours des derniers mois
– notamment aux abords du Parlement de La Haye, à la suite de menaces adressées à des élus.
L’assassinat, en juillet, à Amsterdam, d’un célèbre journaliste d’investigation, Peter R. de Vries, par deux tueurs très vraisemblablement liés à la mafia marocaine de la drogue, la « Mocro Maffia », a eu l’effet d’un électrochoc pour
les autorités. Des avocats, des juges, des journalistes font désormais l’objet d’une protection.
Lundi, tous les regards se sont à nouveau rapidement tournés vers la Mocro Maffia : ce groupe criminel
très violent, implanté aux PaysBas mais aussi en Belgique, est à l’origine d’innombrables règlements de comptes. Dix sept de ses membres sont actuellement jugés dans une enceinte ultrasécurisée de la banlieue d’Amsterdam.
Le procès a repris le 20 septembre dans une atmosphère très tendue.
Nouvelles routes de la cocaïne La Mocro Maffia a aussi ordonné l’assassinat, en 2019, d’un avocat d’Amsterdam, Derk Wiersum, spécialisé dans le crime organisé et les réseaux de trafic de drogue.
Me Wiersum était surtout le défenseur de Nabil B., un repenti qui a livré à la police des informations clés sur le chef de la mafia marocaine, Ridouan Taghi, en échange d’une peine réduite. Le frère de Nabil B. a été assassiné en 2018.
Comme un écho aux saisies retentissantes de cocaïne qui ont rythmé, ces dernières années, le quotidien d’Anvers (Belgique), Rotterdam (PaysBas) et Hambourg (Allemagne), aux règlements de comptes qui ensanglantent le milieu
des trafiquants et audelà, ou à la mise sous pression croissante du crime organisé sur les employés des ports de la mer du Nord, le dernier rapport d’Europol rédigé conjointement avec l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) est venu documenter le nouveau paradigme des routes de la cocaïne en Europe.
Publié le 7 septembre et intitulé « Cocaïne Insights, le trafic de cocaïne de l’Amérique latine vers l’Europe, des oligopoles à l’accès pour tous », ce document expliquait que « l’épicentre du marché de la cocaïne en Europe s’est déplacé vers le nord », supplantant l’Espagne en tant que principale voie d’entrée dans l’Union. C’est ainsi que « la Belgique est aujourd’hui la porte d’entrée principale de la drogue vers les PaysBas, puis l’Europe ».
Les saisies pour le seul port d’Anvers ont atteint 65,6 tonnes en 2020, soit douze fois plus qu’en 2013. C’est le double des saisies réalisées à Rotterdam et le quintuple de celles réalisées en France la même année. Le port le plus important pour le transport de conteneurs en Europe – où 235 millions de tonnes de marchandises ont été chargées et déchargées en 2020 – offre, grâce à ses multiples connexions au réseau fluvial européen, des capacités logistiques majeures qui sont comme autant d’opportunités pour les trafiquants.
« La plupart de la cocaïne arrivant à Anvers est destinée à des groupes criminels basés aux PaysBas,qui
se chargent ensuite de la distribuer en Europe », précise le rapport, qui pointe le rôle, aujourd’hui central,
des groupes albanophones et de la Mocro Maffia, qui ont su nouer des liens directs avec des fournisseurs colombiens.
Les raisons avancées par Europol sont multiples. Les changements politiques dans les pays producteurs de la feuille de coca paraissent avoir joué un effet domino sur toute la chaîne d’approvisionnement vers l’Europe. En Colombie,
principal pays producteur, la fin des oligopoles sur le marché de la cocaïne – marquée par la dissolution de l’organisation paramilitaire Autodéfenses unies de Colombie (AUC) en 2006 et la paix signée avec les FARC en 2016 – a permis l’émergence d’une multitude de nouveaux acteurs des deux côtés de l’Atlantique.
« Cette fragmentation a multiplié les possibilités de nouvelles alliances », décrit Europol, qui ajoute que de plus petits groupes se sont, dans le même temps, spécialisés sur des étapes précises du trafic (la sécurité des plantations,
la transformation de la feuille jusqu’au produit final, l’emballage, le transport ou encore le blanchiment).
Autant d’opportunités pour des acteurs européens qui n’hésitent plus à se rendre physiquement en Amérique latine.
En mars, le démantèlement du système Sky ECC de communications cryptées par les polices belge, néerlandaise et française, était venu préciser un peu plus l’ampleur qu’avait prise le trafic de cocaïne aux PaysBas et dans le nord
de l’Europe. Ainsi que le niveau de violence que générait ce commerce extrêmement fructueux.
« Avions privés » Si les données interceptées par les enquêteurs sont toujours en cours d’analyse, elles ont permis
de déjouer plusieurs assassinats et de découvrir des conteneurs aménagés en cellule, voire en salle de torture.
Les chiffres des saisies qu’elles ont déjà permis sont éloquents, mais pour quelle quantité ayant finalement réussi
à passer les contrôles ?
« L’histoire de la géopolitique des drogues démontre que l’effet répressif – repérable avec les chiffres des saisies – peut faire rapidement évoluer les routes des trafics, note toutefois David Weinberger, directeur de l’Observatoire des criminalités internationales de l’IRIS. On perçoit déjà une croissance des flux en Europe de l’Est, où la pression
douanière et policière est moins forte. C’est le cas avec des points d’entrée comme la Grèce – notamment Le Pirée – ou le Monténégro, mais aussi des livraisons par avions privés vers les Balkans. »
Thomas saintourens et jean-pierre stroobants
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mocro_Maffia