Évolution du Maghreb entre le 11e et 15e siècles apr. J.-C.

De l'époque numide aux temps modernes.

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El-Harrachi
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Évolution du Maghreb entre le 11e et 15e siècles apr. J.-C.

Message par El-Harrachi »

Il s'agit de la conclusion/résumé d'une série d'articles académiques sur la partie finale de l'Histoire médiévale du Maghreb (du 11e au 15e siècles). Il résume le lot des évolutions et des mutations (politiques, religieuses, sociales, ethniques, économiques ... etc.) dans les sociétés maghrébines au cours de cette période, et dont la résultante déssine donc en partie nos propres sociétés actuelles. Le sujet du dossier n'est pas exclusivement militaire, mais cet aspect fait forcément partie du tableau dressé puisque ça s'inscrit dans la somme des évolutions observées.

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[Article]

Nous avons insisté sur le phénomène politique qui nous paraît le plus important dans l’histoire du Maghreb entre le 11e et le 15e siècles : le développement de l’appareil, de la notion et des structures d’État dans les sociétés maghrébines, à travers l’émergence d’Empires bureaucratiques, sous-tendus par une idéologie qui transcendait les particularismes locaux au nom d’ambitions universalistes.

Mutations politiques et sociales

Ce processus de construction étatique s’accompagna d’évolutions importantes qui lui sont liées, qu’elles en soient la conséquence ou qu’elles la favorisent, parfois les deux :

a) Le rayonnement, à partir des villes de savoir et de pouvoir, du droit musulman sunnite de rite malikite dans l’intérieur du Maghreb qui l’ignorait jusque-là en grande partie ;

b) La diffusion de la culture arabo-musulmane classique en raison de deux facteurs concomitants : l’utilisation de l’élite administrative andalouse par les souverains maghrébins dans le cadre de l’union politique des deux rives du Détroit et l’arrivée continue depuis l’Orient de tribus arabes, intégrées de diverses manières dans le jeu politique local.

c) De nouvelles formes d’organisation socio-politique apparaissent, caractérisées par la diffusion de modèles urbains en rupture avec les précédents : on passe ainsi de villes ouverte sur l’environnement agro-pastoral et tribal des bédouins et des cultivateurs, à des villes avec enceinte, palais, centre administratif et mosquée structurant un espace intérieur clos.

L’historiographie a souvent insisté sur la rupture entre la période almoravide-almohade d’union territoriale du Maghreb et al-Andalus et d’unification dogmatique, et la période suivante, qui serait celle de l’éclatement territorial, des intérêts locaux et de la tri-partition du Maghreb. Pourtant le recul historique conduit à mieux apprécier les éléments de continuité : instrumentalisation des tribus arabes qui pénètrent des zones où elles ne s’étaient jamais installées auparavant, utilisation de la force militaire des étrangers, construction de complexes palatiaux, volonté d’enraciner, dans le territoire et dans le temps, les emblèmes de pouvoirs ou de dynasties qui avaient très vraisemblablement une conscience aiguë du caractère éphémère de leur existence, caractère théorisé par Ibn-Khaldûn dès le 14e siècle.

Evolution du paysage religieux

Du point de vue religieux, la diffusion d’un même message impérial dans les Grandes mosquées du Maghreb et d’al-Andalus et la répression des régions où des mouvements hétérodoxes s’étaient développés conduisent à estomper la mosaïque religieuse : le Maghreb cesse peu à peu d’être le refuge de formes minoritaires de l’Islam, le Christianisme autochtone et les différentes formes berbérisées de l’Islam disparaissent, le Khârijisme/Ibâdisme se maintient de manière résiduelle au S. du Maghreb Central, à Djerba et dans certains massifs montagneux de l’Ifrîqiya ; les populations du Jebel Demmār passent au Sunnisme au cours des 14e-15e siècles, sous l’influence des nomades Arabes et des attaques almohades. L’essor des madrasa à partir de la fin du 13e siècle, dans les grandes capitales urbaines, s’inscrit, après la révolution almohade, dans la démarche de sunnisation du Maghreb et de réintégration du Maghreb dans une histoire qui n’est plus celle des Arabes, mais celles des peuples de l’Islam : Turcs, Arabes, Kurdes, Berbères … etc. Dorénavant le Maghreb n’est plus cette conquête périphérique rebelle, il institue des relations nouvelles avec l’Orient et un nouvel équilibre avec le berceau de l’islam : ainsi, au 15e siècle, la garde des Lieux saints est-elle confiée aux califes hafsides, ce qui aurait été inconcevable au début de la période et constitue la reconnaissance de leur primat au moins symbolique à l’échelle du monde musulman tout entier.

Cette réduction de la diversité religieuse du Maghreb s’accompagne de l’essor d’un Soufisme fondé sur l’ascétisme et la pénitence, dans toutes les strates de la société. Le "saint" (wally) devient le médiateur par excellence (entre les villageois ou les marchands, et les Bédouins), ou l’intercesseur auprès de Dieu. On le sollicite contre les accidents climatiques et les malheurs naturels, pour faire cesser la pluie ou, plus souvent, la sécheresse, ou pour repousser les attaques des bêtes sauvages. Du paysan pauvre au riche commerçant, du souverain, tous cherchent la bénédiction (baraka) ou la compagnie des saints. Soufisme et sainteté sont deux phénomènes différents, mais qui se conjuguent fréquemment. Aux saints sont attribués des vertus mystiques, aux maîtres soufis la bénédiction qui découle de l’amour de Dieu. Au cours des 13e­ et 14e siècles, apparaissent ainsi les premières confréries soufies qui, en essaimant d’un bout à l’autre du monde musulman, forment un contre-pouvoir face aux autorités locales et servent de base à l’islamisation de l’Afrique subsaharienne au cours des siècles suivants.

Évolution linguistique

La politique administrative des Empires bureaucratiques, les flux de population (immigrants andalous ou nomades arabes d'Orient), la pression exercée par les Latins sur les littoraux du Maghreb, ont eu des conséquences sur les langues parlées dans la région. Le berbère a perdu au cours des 12e-15e siècles de son importance au profit de l’arabe. Les populations locales se sont approprié la langue de leurs maîtres et ont élaboré ce que Jean-Léon l’Africain appelle au début du 16e siècle « l’arabe corrompu », en fait l’arabe maghrébin.

Évolution de l'Economie

À partir du 11e siècle, le Maghreb se prépare en quelque sorte à la première mondialisation, celle des 15e­-16e siècles : on assiste à un développement des ports et des littoraux, à un essor des échanges maritimes aux dépens des caravanes. Au début de la période, la région fournit des produits élaborés ou de luxe aux puissances latines, en revanche, à la fin de la période, elle exporte des matières premières vers le N. et en importe des produits finis, la balance des échanges s’étant complètement renversée. L’échec des dernières tentatives d’unification politique et l’affaiblissement économique ouvrent la région aux conquêtes portugaises et espagnoles, à partir du 15e siècle, ottomanes au 16e siècle.

[Fin]
"L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" Pio Baroja, L'apprenti conspirateur (1913)

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