Histoire des juifs d’Algérie

De l'époque numide aux temps modernes.

numidia
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Re: Histoire des juifs d’Algérie

Message par numidia »

les Juifs d'Algérie ont choisi la colonisation officiellement et après réflexion au sein des instances juives d'Algérie avec leurs coreligionnaires
ils ont obtenu des avantages et ont participé activement et institutionnellement à la colonisation
même avant le décret Crémieux les choses étaient claires
exemple: durant la terrible période de famine et du maladies des années 1865 à 1868 où le pays a connu une perte en population sévère et aussi en cheptel en moissons sévère, les Juifs ont refusés le prêt d'argent aux chefs de tribus pour l'achat de blé et de nourriture, par exemple, El Hadj Mokrani avait emprunté à Mac Mahon pour pouvoir acheter de quoi nourrir la tribu qu'il avait en charge, le prêt et les prix ont explosé

pour la vidéo, il me semble que la chaine est basée aux Emirats, c'est sans doute, vue les vidéos diverses, une chaine gérée par des sionistes, cf distiller goutte à goutte des idées fausses et perverses qui entreront dans les têtes, des vidéos qui sont parmi d'autres, à force de voir, on est orienté et manipulé
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anzar
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Re: Histoire des juifs d’Algérie

Message par anzar »

numidia j'apprécie beaucoup ta participation mais la généralisation n'est pas une de tes tendances habituelles.... que fais-tu des juifs d'Algérie et d'ailleurs qui ont activement combattu le colonialisme :?: Les exemples ne manquent pas même si beaucoup étaient communistes (et je vois déjà poindre ta réponse sur les motivations réelles de ces personnes de par leur idéologie qui s'oppose au nationalisme "panarabe"... je m'avance peut être :?: ) mais il en demeure pas moins qu'ils y en a eu plein et qu'ils ont parfois subit le même sort que leurs camarades algériens.
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Le russe
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Re: Histoire des juifs d’Algérie

Message par Le russe »

anzar a écrit :
10 octobre 2023, 22:03
numidia j'apprécie beaucoup ta participation mais la généralisation n'est pas une de tes tendances habituelles.... que fais-tu des juifs d'Algérie et d'ailleurs qui ont activement combattu le colonialisme :?: Les exemples ne manquent pas même si beaucoup étaient communistes (et je vois déjà poindre ta réponse sur les motivations réelles de ces personnes de par leur idéologie qui s'oppose au nationalisme "panarabe"... je m'avance peut être :?: ) mais il en demeure pas moins qu'ils y en a eu plein et qu'ils ont parfois subit le même sort que leurs camarades algériens.
Beaucoup des juifs qui ont participé à la révolution sont restés après l'indépendance et certains vivent entre nous autant qu'algeriens malheureusement une majorité de ces cas ont dû quitter le pays durant la décennie noir.
Ils n'en restent pas moins une exception car la majorité des juifs ont activement oeuvré en faveur de la France dès le début de la colonisation
« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »
M.L.K

numidia
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Re: Histoire des juifs d’Algérie

Message par numidia »

@Anzar
on est d'accord, je ne parle pas d'individualités ou de choix personnel de certains.
j'ai parlé de choix "institutionnel" càd des instances religieuses juives officielles, c'est des faits historiques, un accord tacite puis officiel a été passé entre l'administration coloniale et les responsables locaux de la communauté juive, ces responsables après consultation au sein de leur communauté, ont saisi et compris combien ils tireraient bénéfices en se rangeant du côté du colonialisme, même ils se sont proposés dès le début de la colonisation de servir, offrir leur service au nouvel occupant
par intérêt ? oui exemple: conserver le statut propre dans le cadre du mariage, de l'héritage, user de droits politiques, etc... ils se sont rangés du côté du colonialisme par intérêt communautaire.
dans un premier temps, ils auraient pu bénéficier de la naturalisation française, mais elle ne leur était pas avantageuse puisqu'elle les obligeait à être à égalité avec les colons devant la justice, ils n'en voulaient pas, ils voulaient conserver leur spécificité religieuse en matière judiciaire et en matière de droit privé (mariage par exemple). c'est pour cela qu'ils n'ont pas choisi la naturalisation qui leur a été proposé bien avant le décret Crémieux de la IIIème république, sous Napoléon III une naturalisation des "indigènes" existait. Mais qui n'a eu que peu d'effet. Puis après négociation, l'administration française ayant recours à eux et ayant voulu leur rendre des avantages pour "services rendus" accepte de laisser des affaires privées être jugées par des Juifs, le colon ne s'en mêle pas tant que c'est privé.
ils ont obtenu cela.
beaucoup parlent du décret Crémieux, mais en fait il n'a fait qu'entériner un existant, il a mis fin à toute vélléité juive (des individualités) de s'opposer aux exigences coloniales, il y en a eu, bien entendu, dans les archives on peut trouver cela.
Anzar, il faut distinguer ici d'un côté le choix individuel de certains, qui n'engage qu'eux et qui les honorent et de l'autre le choix de l'ensemble qui a été consensuel et permis à la communauté de négocier, obtenir et affirmer des avantages propres du fait de communautarisme.

j'insiste sur ce point pourquoi ?
actuellement, il y a une utilisation de ces choix individuels (qui se sont opposés aux responsables religieux communautaires) ils sont utilisés par cette même communauté pour faire croire à une nouvelle lecture de la colonisation, disant que les Juifs ont subi la colonisation, ont été contraints, en fait ils étaient avec les "indigènes musulmans" etc..., ceci est historiquement faux, les Juifs en tant que communauté reconnu par le colonialisme, ont choisi la colonisation.
il y a du révisionnisme sur la question, exemple: Benjamin Stora qui souhaite donner à l'écriture de l'histoire du colonialisme français uen image d'administration et d'armée coloniale sans foi ni loi seule et unique responsable, mais de colons et de communauté juive à part, les gentils et les méchants pour caricaturer, cette tendance est dangereuse et la manipulation est nette.
bien entendu il y a eu des colons et des juifs "gentils" mais de là à faire d'un élément isolé une thèse historique ...
cela transparait dans tous ces travaux et l'impulsion qu'il donne de l'écriture française de l'histoire de la colonisation est directement influencé par cette analyse historique manipulée. d'où mon insistance à différencier "acte personnel" et "acte engageant un groupe ou une communauté voir un Etat"

les individualités, les personnes juives qui ont refusé cela et qui ont participé à l'émancipation des peuples ont fait un choix tout personnel, qui n'engage qu'eux, pas la communauté.

Prenons par exemples
- la communauté catholique, l'aide des pères lyonnais qui ont aidé les Algériens pendant la guerre de libération
contraste avec les plans maléfiques d'un cradinal Lavigerie qui obligé les enfants à se convertir pour avoir à manger, suivre le Christ et servir le Christ pour lutter contre les indigènes non-soumis
- si on voit en détails de nombreux Français ont aidé les Algériens, ont contribué à la libération de notre pays, mais c'était aussi des individualités. Les autorités françaises ne peuvent être absoutes du mal causé parce que quelques individualités ont participé, ont été tué pour la cause algérienne.
c'est pareil, les autorités institutionnelles juives ont participé et ont choisi le colonialisme, les quelque uns (fut-il nombreux) juifs qui ont choisi al cause indépendantistes ne peuvent être la gomme qui efface ce que les officiels et dignitaires ont mis en place après consensus global, concertation et négociation.

aparte: pour le communisme, le débat est plus complexe,oui il y a eu un choix de cette branche politique, mais que ce soit des juifs, des catholiques, des protestants, des orthodoxes, des athées, c'étaient lié à des choix politiques, pas religieux. or tout le discours de certains aujourd'hui en avançant l'exemple des juifs communistes et de faire un raccourci vers leur identité religieuse, non pas sur leur conviction politique. on voit bien qu'aucun parti communiste au monde ne s'arroge des droits aujourd'hui au nom d'une aide dans les années de combat auprès du FLN ou de l'ALN. contrairement à la communauté juive qui tente de faire croire que l'aide de quelque uns effacent tout le reste.
Hommage à tous ceux qui ont contribué, qui ont été tué, dont le sang a coulé en même temps que les nôtres, grand hommage et nous ne devons pas les oublier,
mais nous ne devons pas non plus salir leur nom en les mélangeant à d'autres qui eux ont contribué au colonialisme et qui ont le sang sur les mains.
j'extrapole avec ceci: un allemand qui a refusé le nazisme, ne peut pas effacer la responsabilité des nazis
un juif qui a refusé le colonialisme ne peut pas effacer la responsabilité de la communauté juive dans son adhésion volontaire et sa participation active au colonialisme

voilà j'espère avoir été plus claire ;)

certains historiens en parlent, tu peux trouver des éléments
ci-après ceci des archives, document de 1875, en guise de lecture datant de l'époque du décret Crémieux, il y a 150 ans
Charles Roussel
La Condition et la Naturalisation des indigènes en Algérie, les juifs et les musulmans
Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 10, 1875 (p. 895-921).

LA NATURALISATION DES INDIGÈNES EN ALGÉRIE

Nous avons, dans une précédente étude[1], exposé la condition des étrangers en Algérie et essayé de rendre compte des causes qui les portent à rechercher la naturalisation française ou les en éloignent. Le droit de cité ne leur a pas toujours été également utile et accessible. Le sénatus-consulte de 1865 est venu faciliter les moyens de l’acquérir, et le nombre des naturalisations a sensiblement augmenté du jour où, en restituant à nos concitoyens d’Algérie l’exercice de leurs droits politiques, le législateur a doublé le prix du titre de citoyen français. On voit donc la naturalisation s’étendre à mesure qu’il s’attache plus de valeur au titre qu’elle confère. Si une politique prévoyante nous conseille de persister dans cette voie, de ne négliger aucun moyen d’attirer les étrangers à notre nationalité, cette nécessité s’impose avec une tout autre énergie encore à l’égard des indigènes, qui sont la grande force productrice de l’Algérie.

La statistique générale de l’Algérie pour la période sexennale de 1866 à 1872, récemment publiée par le ministère de l’intérieur, établit qu’en 1872 le nombre des têtes de bétail possédées par les Européens était de 392,375, tandis qu’il s’élevait pour l’indigénat à 9,774,852, que la même année, qui fut une année de rendement moyen, il y eut une production de 12,300,162 quintaux métriques de céréales, sur lesquels 4,047,517 de blé dur, culture presque exclusive aux tribus, et 727,190 de blé tendre provenant uniquement des Européens. Les 6,266,724 quintaux métriques d’orge récoltés dans la même campagne étaient certainement dus aussi pour les cinq sixièmes au moins aux indigènes. Personne n’ignore que cette différence ne témoigne pas de la supériorité agricole de ces derniers, dont le travail est loin au contraire de valoir celui des colons ; elle résulte de la disproportion des superficies départies à la colonisation et à l’indigénat, et l’écart serait infiniment plus considérable, si l’on usait de chaque côté des mêmes procédés de culture.

S’il y a un enseignement à tirer de ces chiffres, c’est évidemment que nous sommes dans l’impossibilité de vivre en Algérie sans l’indigénat. Posséderions-nous cependant les moyens de nous passer de son concours, aurions-nous une immigration française ou européenne toute prête à le remplacer sur les espaces occupés par lui, qu’indépendamment même de toute considération d’humanité la reconnaissance et l’intérêt nous feraient un devoir de conserver cette race pour les services économiques qu’elle nous a rendus jusqu’ici, pour la part fraternelle qu’elle a prise à nos luttes et qu’elle y prendrait encore très utilement à l’occasion. Malheureusement elle sera pour nous un danger permanent en même temps qu’un auxiliaire indispensable, tant qu’on n’aura point brisé le lien qui unit entre elles les tribus. Quel moyen de rendre acceptable et désirable à la masse des indigènes une naturalisation qui résoudrait ce problème ? Examinons la situation qu’elle fait aux deux élémens dont se compose l’indigénat : les israélites et les musulmans. On verra comment le législateur a pu prendre pour les premiers une mesure d’ensemble qu’il serait pour le moment impossible d’étendre aux seconds, et pourquoi les musulmans doivent, sous le régime du sénatus-consulte, trouver plus d’avantage à ne point changer d’état qu’à devenir citoyens français. On jugera par suite des difficultés que rencontre l’application de notre droit commun dans les tribus, du mérite comparatif des méthodes destinées à l’y introduire et des espérances d’assimilation qui nous sont permises.


I. — Indigènes israélites.

Dans son rapport sur le sénatus-consulte, M. Delangle s’exprimait ainsi : « Le moment n’est pas loin où une population chez qui le sentiment de l’honneur est ardent ressentira un légitime orgueil à partager sans restriction les destinées d’une nation qui tient dans le monde civilisé une si grande place ; mais, en supposant que ce ne soit là qu’une illusion quant aux Arabes, on peut affirmer d’avance que les plus riches et les plus considérés parmi les israélites se montreront impatiens de pénétrer dans la voie qui leur est ouverte… Comment douter qu’avec l’intelligence qui leur est propre, l’esprit ouvert au progrès, ils ne se hâtent de se confondre avec la nation qui tient le flambeau de la civilisation, et dont le premier soin a été de les affranchir du joug sous lequel ils gémissaient ? » Les faits ont-ils répondu à ces généreuses espérances ? En 1870, le nombre des individus naturalisés en vertu du sénatus-consulte était de 1039, qu’on répartissait ainsi : 634 étrangers, 405 indigènes. Dans ce dernier chiffre, les musulmans comptaient pour 116, les israélites pour 289 ; mais la désignation d’indigène s’appliquait improprement à plus d’un tiers d’entre eux qui, étant originaires du Maroc et de la Tunisie, eussent avec plus d’exactitude figuré au tableau des étrangers. Ces Africains musulmans et juifs, principalement juifs, s’étaient fait naturaliser moins pour devenir citoyens français que pour exploiter cette qualité. Grâce à ce titre, qui inspirait de la confiance, ils obtenaient à crédit dans les tribus et auprès de nos propres fournisseurs des livraisons importantes de marchandises qu’ils expédiaient aussitôt dans leur pays d’origine, ils disparaissaient ensuite sans retour à la veille de l’échéance, ne laissant à leurs victimes qu’un recours presque toujours illusoire. Les autorités tunisiennes et marocaines, qui peuvent, sur des plaintes venues du dehors, réprimer les fraudes de leurs nationaux, étaient désarmées devant des citoyens français : ceux-ci se fussent réclamés de nos agens consulaires, qui eussent été obligés de les couvrir. Éprouvaient-ils du reste quelque inquiétude d’un séjour trop prolongé dans ces états, ils passaient à Gibraltar ou à Malte, où ils se sentaient en sécurité à l’abri des lois anglaises, si respectueuses de la liberté individuelle. Il eût fallu recourir contre eux à l’extradition, qui ne s’accorde qu’au moyen d’une procédure internationale préalable, qui met la diplomatie en mouvement, et dont les règles multiples et compliquées interdisent l’emploi dans tous les cas où il n’y a pas un intérêt de premier ordre à en user. Ces fraudes restaient impunies, car les condamnations par défaut ou par contumace ne pouvaient jamais s’exécuter. De tels scandales, dont témoigneraient particulièrement les personnes qui ont pratiqué la justice criminelle en Algérie, eussent bientôt avili notre naturalisation. Hâtons-nous de rendre à l’administration supérieure algérienne cette justice, qu’elle n’attendit pas, pour découvrir ces supercheries et y mettre un terme, que l’opinion publique les lui dénonçât.

Tandis que notre naturalisation obtenait auprès des Juifs de l’extérieur une vogue si compromettante, la communauté israélite indigène présentait un spectacle qui contrastait avec cet empressement de mauvais aloi. Il s’était produit ce phénomène singulier et en apparence contradictoire, que cette population, qui avant le sénatus-consulte demandait tout d’une voix à être naturalisée en masse, se montrait ensuite disposée avec un égal ensemble à s’abstenir. Les personnes qui suivaient avec intérêt le mouvement des naturalisations voyaient les rares partisans que notre droit de cité conservait encore parmi ce groupe indigène oser à peine avouer leurs sentimens en présence de l’attitude de leurs coreligionnaires. Aucun événement politique capable d’expliquer un si subit et si complet revirement ne s’était produit dans l’intervalle. Cependant des évolutions populaires qui offrent un tel caractère d’unanimité ne sauraient s’accomplir sans raison.

Le sénatus-consulte avait en effet engendré cette réaction en créant un état de choses compliqué et obscur que la majorité des israélites jugeaient plus avantageux à leurs intérêts que ne l’eût été la naturalisation. Avant cette date, les Juifs vivaient en Algérie dans une condition déjà très difficile à définir légalement. Ils n’avaient pas, comme les Arabes, une administration et des tribunaux propres. Administrativement ils étaient incorporés dans la commune française, ayant au conseil municipal et même aux conseils-généraux des représentans de leur religion nommés par l’autorité. En matière judiciaire, depuis la suppression des tribunaux rabbiniques (1842), leurs contestations ressortissaient à la justice française, et notre législation civile les régissait. Toutefois, en leur rendant notre code applicable, on les avait, par tolérance religieuse, laissés en possession des statuts mosaïques concernant le mariage et l’état des personnes. Quand les juges français avaient à prononcer sur des questions de cet ordre, ils étaient tenus, quoique gardant plénitude d’appréciation, de prendre avant de statuer l’avis des rabbins, formés en conseil ad hoc. Le législateur, hésitant à décréter l’assimilation complète, avait introduit ce tempérament afin d’adoucir le passage d’un état légal à un autre, d’une condition exceptionnelle au droit commun. Il s’établissait alors une jurisprudence pour suppléer aux lacunes de la loi, et pour indiquer les principes que le législateur devrait ultérieurement consacrer. Déjà la magistrature avait posé dans ses décisions un ensemble de règles qui s’acceptaient sans difficulté ; le sénatus-consulte, qui devait les fixer, eut pour effet de les confondre toutes.

Le sénatus-consulte déclarait Français les israélites, mais en édictant qu’ils demeureraient en jouissance de leur statut personnel jusqu’à ce qu’ils eussent obtenu sur leur demande la qualité de citoyens français. Le vague inséparable de ces mots de statut personnel en rendait périlleuse l’introduction dans la loi. L’on sait qu’ils reçoivent une double acception, qu’ils comprennent dans leur sens le plus étendu le statut général des personnes, c’est-à-dire l’ensemble des droits qu’elles possèdent dans une société, et que dans une acception plus restreinte le statut personnel se prend par opposition au statut réel pour désigner spécialement les droits inhérens à la personne même, qui ne peuvent être détachés d’elle pour passer à une autre : distinction surannée que l’on abandonne déjà pour celle des droits de famille et de propriété. Le législateur de 1865 réservait-il aux israélites les facultés de leur statut personnel général, ou simplement celles de ce statut restreint ? Resteraient-ils, comme par le passé, sous l’empire des coutumes mosaïques à l’égard des mariages, répudiations et successions seulement, ou bien seraient-ils habiles à invoquer désormais en justice leur loi particulière pour toutes leurs contestations, et par exemple en matière de prêt d’argent ou de vente d’immeubles ? Une délimitation claire était à établir à raison du caractère semi-religieux, semi-civil des dispositions qu’elle contient.

Quand les autorités chargées d’appliquer une loi ne trouvent pas dans les expressions une limpidité suffisante, elles recourent pour s’édifier aux commentaires officiels : travaux préparatoires des commissions législatives, débats parlementaires, et elles y puisent d’ordinaire la solution des difficultés. Ici ce moyen de s’éclairer manquait par malheur entièrement. Soit en effet que la difficulté ne fût point apparue aux auteurs du sénatus-consulte, soit qu’ils eussent préféré s’en remettre du soin de distinguer à la sagesse des juges, nulle part ils ne s’étaient suffisamment expliqués. A la faveur de l’équivoque qui planait sur la volonté du législateur, la tendance à l’unité des décisions judiciaires fut rompue, et il s’introduisit à la fois des divergences plus accentuées entre les tribunaux et dans les mêmes tribunaux une jurisprudence inconstante. Certaines juridictions entendirent renfermer les israélites dans le cercle du statut personnel restreint, tandis que d’autres inclinaient à consacrer le principe du statut général.

Les israélites s’efforçaient de faire prévaloir ce dernier système, plus conforme avec la conception sémitique de la loi. Selon eux, dès que le gouvernement se contentait de leur imposer l’obéissance politique et les laissait en possession de leur statut religieux, cette tolérance devait s’entendre de toutes les lois juives, puisque ce sont des lois religieuses. De telles idées, pratiques dans l’antiquité juive et tant que cette race vécut isolée dans des milieux hostiles, ne sauraient se concilier, avec le mouvement d’affaires contemporain auquel elle s’est si largement associée et où son génie excelle. Elles ne prévalaient ni à la cour d’Alger ni dans la majorité des tribunaux de la colonie ; cependant elles exerçaient de l’influence sur une partie de la magistrature, et dans certains sièges l’on s’habituait à référer aux rabbins de toutes les contestations entre israélites. Déjà divisés dans l’interprétation de points touchant directement aux dogmes, les rabbins l’étaient bien davantage encore sur le terrain des questions civiles. La législation hébraïque, en dehors de quelques principes fondamentaux incontestés, relatifs au mariage, à la constitution de la famille, à l’ordre de l’hérédité, offre par l’élasticité de ses formules un champ sans limites à la subtile casuistique des docteurs du judaïsme. Nos juges se sentaient souvent fort embarrassés pour prendre parti entre des opinions contradictoires appuyées sur les mêmes textes diversement expliqués. Ne pouvant toujours apprécier la science des commentateurs, ils s’exposaient à accorder arbitrairement leur confiance et à juger mal pour avoir voulu trop bien juger. Parfois ils se trouvaient dans l’alternative de sanctionner des actes condamnés par notre raison et notre morale ou de contrevenir aux avis des rabbins les plus accrédités. La confusion résultant de l’incertitude où l’on était de la volonté du législateur et des contradictions de la jurisprudence rabbinique fournissait aux plaideurs de mauvaise foi une source inépuisable de chicanes. On les voyait dans leurs contestations entre eux et avec les musulmans ou les chrétiens, et sans autre règle que l’intérêt du moment, tour à tour s’appuyer tantôt sur la loi française, tantôt sur les préceptes mosaïques. Si les parties s’accordaient quelquefois sur ce point, le plus souvent elles invoquaient respectivement l’un et l’autre statut, ce qui ajoutait à la difficulté naturelle du procès celle du conflit des législations. Quelques exemples feront comprendre les anomalies de cette situation.

Un israélite réduit sur ses vieux jours à la misère demandait en justice des alimens à son fils. L’obligation de nourrir ses auteurs nécessiteux est, dans nos idées, de droit naturel, antérieure et supérieure à toute question d’état. Le défendeur se prétendait dispensé d’une telle charge par la loi de son statut personnel, dont il se réclamait. Le tribunal consulta les rabbins, qui produisirent à l’audience des textes de docteurs célèbres déclarant le fils tenu de fournir dans l’espèce des alimens à sa table même, mais à la condition que son père lui payât pension comme à un aubergiste, et ne devant rien au-delà. Contre ces autorités, un rabbin obscur affirmait seul et timidement le droit absolu des père et mère indigens à des secours alimentaires. Le tribunal, n’osant donner raison à ce dernier devant la synagogue, jugea selon la loi française.

Un autre israélite réclamait devant la même juridiction à un de ses coreligionnaires le paiement d’une dette. Le débiteur contestait devoir des intérêts, quoiqu’il y eût titre, se retranchant derrière une prescription sinaïtique qui défend le prêt à intérêt entre israélites. Le contrat de prêt d’argent ne tient pas de sa nature au statut personnel ; mais, la loi de Moïse étant avant tout religieuse, le prêt pécuniaire, qu’elle a réglé, peut de ce chef rentrer sous ce statut. C’est ce que pensa le tribunal, et il demanda l’avis des rabbins sur l’objection du défendeur. Ceux-ci affirmèrent l’existence et la permanence du texte invoqué ; ils citèrent à l’appui des sentences conformes de sanhédrins et des exemples historiques. Le créancier fut en conséquence condamné à perdre les intérêts du capital prêté, décision qui causa un grand émoi dans la communauté juive, dont ces traditions désintéressées ne gouvernent plus les coutumes.

Avec leur esprit si éminemment pratique, les israélites avaient vite saisi les raisons de la préférence attachée en affaires aux écrits sur le témoignage oral. Avant le sénatus-consulte, ils n’avaient jamais songé à se prévaloir de ce que la preuve testimoniale est toujours admissible dans leurs traditions juridiques pour l’invoquer contre les énonciations de pièces authentiques ; ils l’essayèrent après 1865. La jurisprudence refusa de sanctionner ces prétentions subversives d’un principe qui est fondamental dans notre droit, et marque même une des différences capitales du droit moderne et de celui des temps anciens.

Avant 1865, il était à peu près uniformément admis par les tribunaux d’Algérie que le mariage contracté par des israélites indigènes devant l’officier de l’état civil français demeurait, quant à ses effets, soumis aux règles de notre code. La cour d’Alger résistait isolément à l’adoption de ce système, qui lui semblait empiéter sur le domaine législatif ; mais la cour de cassation[2] l’avait sanctionné, et ses décisions eussent établi un accord final entre les juridictions de première instance et d’appel. La masse des israélites s’habituait d’ailleurs à considérer l’union conjugale célébrée dans ces conditions comme indissoluble, exclusive de la polygamie et comportant toutes les conséquences du mariage français ; mais en présence des dispositions du sénatus-consulte il parut abusif à certains tribunaux que l’assimilation légale pût, comme par le passé, résulter pour les israélites de mariages contractés suivant les formes de notre code, et, revenant sur leur jurisprudence, ils décidèrent que dans un tel mariage la loi mosaïque devait seule régler les rapports respectifs des époux. Dans cette situation, des maires d’Algérie refusèrent de célébrer des unions pareilles ; il fallut des jugemens et l’intervention du parquet pour les y contraindre.

Une autre question s’était présentée de tout temps devant la justice, et avait été l’objet des solutions les plus diverses. Quelquefois un israélite se voyait déférer par son adversaire le serment décisoire. Le serment, par lequel on prend à témoin la Divinité, est un acte d’essence religieuse, par conséquent de statut personnel au premier chef. Selon le rite mosaïque, il se prête solennellement à la synagogue sur les livres saints, entre les mains d’un ministre de la religion. On ne l’accepte généralement qu’avec une répugnance extrême, parce que, d’après un préjugé populaire, celui qui a juré doit mourir dans l’année. Lorsqu’il devait avoir lieu, il fallait nécessairement qu’un magistrat français, seul compétent pour dresser procès-verbal, y assistât. Or la plupart des rabbins interdisaient, sous peine de malédiction et d’anathème, de s’y soumettre, parce que c’était à leurs yeux un sacrilège d’invoquer le nom de Dieu par l’ordre des profanes et en leur présence, qui souillait le sanctuaire. A la vérité, des casuistes plus accommodans, considérant qu’il fallait obéir aux autorités quand elles n’ordonnaient pas une transgression de la loi, et qu’une prestation de serment ne violait aucune loi, puisqu’il était en définitive permis aux israélites de jurer, affranchissaient leurs coreligionnaires de ces scrupules ; mais dans cette divergence d’opinions, si certains tribunaux admettaient sans hésiter le serment more judaico sur la demande de toutes parties ou même d’une seule, d’autres s’y refusaient toujours dans ce dernier cas et quelquefois dans le premier. Nos juges proposaient parfois notre serment judiciaire, et jamais celui qui avait à jurer ne rejetait cette transaction ; mais le serment est un acte illusoire, pis encore, une comédie sacrilège, si celui qui le profère ne se considère pas comme engagé par là, et les israélites ne se croyaient point liés par la teneur du nôtre, la sainteté du serment ne découlant, selon leurs idées formalistes, que du caractère sacerdotal de l’autorité qui le reçoit et du caractère sacré des Écritures sur lesquelles on étend la main en jurant.

La nécessité pour les israélites d’être ramenés sous une législation uniforme avait frappé dès longtemps ceux qui tenaient la tête de la communauté et en représentaient l’intelligence et les aspirations élevées. Leur propagande n’avait pas triomphé sans de grands efforts des préjugés de race et de religion. Il n’existait pas chez les Juifs, comme chez les Arabes, de castes politiques menacées par l’avènement d’un nouvel ordre de choses ; mais les traits saillans de la famille sémitique, dont les deux races procèdent, persistent chez l’une et chez l’autre. Les classes inférieures justifient surtout cette remarque, comme si c’était le privilège des masses populaires de recevoir plus profondément et de garder avec plus de fidélité l’empreinte native. L’inflexibilité religieuse, l’étroitesse intolérante, la haineuse défiance des idées étrangères, sont pareilles dans les couches de fond de la société juive et parmi la plèbe des tribus. Ce phénomène n’apparaît nulle part mieux qu’en Algérie, où cette société, séculairement soustraite aux influences d’un milieu civilisé, a conservé sa primitive originalité ; mais la raideur sémitique s’accompagne chez le Juif d’une souplesse merveilleuse en tout ce qui ne touche pas directement à ses affaires de conscience. C’est ainsi que cette race a pu perdre sa nationalité et son pays, traverser de longues persécutions sans périr nulle part, et même en prenant dans certaines sociétés une place considérable. En Algérie, elle avait fini par se convaincre qu’elle ferait acte de sagesse en réclamant l’assimilation, dont elle jouissait déjà depuis trois quarts de siècle dans la métropole, et la masse suivait, non par un entraînement irréfléchi, mais avec un sentiment raisonné, l’impulsion de la classe dirigeante. C’est à la justice que revenait le principal honneur de cette conversion, dont le sénatus-consulte suspendit si malencontreusement les élans. La violence de la réaction dépassa l’énergie du mouvement.

Quelques rabbins de bas étage, ignorans et fanatiques, véritables marabouts du judaïsme, ennemis de toute innovation par sécheresse d’esprit et pusillanimité de cœur, et dont l’opposition n’était pas même exempte de tout mobile intéressé, entretenaient habilement ces sentimens répulsifs. Si la qualité de marabout confère chez les Arabes un véritable privilège de parasitisme, celle de rabbin peut aussi devenir chez les israélites une source de lucre. Ce lucre ne s’obtient point toutefois sans travail ; ces rabbins ne sont pas des illuminés ou des charlatans nourris dans l’oisiveté par la superstition, ce sont de simples commerçans dont l’enseigne religieuse favorise les spéculations. Un précepte mosaïque dont se sont affranchis plusieurs, mais que la masse observe toujours rigoureusement, impose aux Juifs de ne boire que du vin préparé par leurs rabbins et de ne manger que la chair d’animaux également immolés par eux selon des rites prescrits. Les rabbins purificateurs et sacrificateurs fournissent directement pour la plupart aux fidèles les denrées alimentaires que ceux-ci doivent consommer. Ils éprouvaient et propageaient une aversion toute naturelle pour des nouveautés capables d’émanciper la conscience de leurs coreligionnaires, et par suite de les atteindre eux-mêmes dans leurs intérêts commerciaux. Dans cette crainte, ils n’hésitaient pas à abuser de l’ascendant attaché à leur caractère sacerdotal pour répandre les inventions les plus odieuses. C’est ainsi qu’ils persuadaient aux familles juives que la naturalisation les obligerait à travailler le samedi et à observer le dimanche comme les chrétiens, enflammant par ces mensonges les passions de la partie inintelligente et exaltée de leurs coreligionnaires. Les affaires souffrirent de l’état de choses inauguré par le sénatus-consulte ; les transactions commerciales en furent compromises, le crédit public ébranlé. Le négoce, les officiers ministériels, réclamèrent hautement ; la magistrature et l’administration s’émurent à leur tour. Le gouvernement, sollicité de toutes parts, dut aviser. Le ministre de la justice de la défense nationale a retrouvé dans les cartons de son prédécesseur un projet de décret rédigé par M. Emile Ollivier en vue de conférer aux israélites indigènes la qualité de citoyens français : les israélites qui n’auraient point dans le délai d’un an déclaré devant l’autorité compétente qu’ils entendaient conserver leur statut propre en vertu de l’article 2 du sénatus-consulte devaient être naturalisés ipso facto[3]. Ce décret, dont les circonstances arrêtèrent la promulgation, avait sans doute en vue de concilier le respect dû à la liberté de conscience avec les nécessités de la situation ; mais en laissant, par un scrupule honorable, le choix de leur état aux intéressés, le législateur eût exposé notre naturalisation à des avanies. Les sentimens qui en détournaient les israélites subsisteraient encore en effet sans les événemens survenus dans la métropole ; mais après l’émancipation politique de l’Algérie l’idée de la naturalisation collective redevint populaire parmi les Juifs, et ils organisaient une nouvelle campagne de pétitions en vue de l’obtenir quand le décret du 24 octobre 1870 vint donner cette satisfaction à leurs vœux.

Cette mesure ne reçut pas l’approbation unanime qu’elle eût rencontrée quelques années plus tôt, elle provoqua des récriminations qui furent également propagées par l’ignorance et exploitées par l’esprit de parti. Les uns en toute sincérité, d’autres par calcul, en critiquèrent l’opportunité. Elle froissait, disait-on, l’amour-propre des indigènes musulmans, indignés de voir élever les Juifs jusqu’à nous, tandis qu’on les laissait eux-mêmes outrageusement à l’écart ; on allait jusqu’à la désigner comme la cause de leur insurrection.

C’est méconnaître singulièrement le caractère des faits. Si notre naturalisation eût revêtu aux yeux des musulmans un tel prix qu’ils dussent se sentir blessés de ne pas l’obtenir quand nous l’accordions si libéralement aux israélites, est-ce que nous ne les aurions pas vus en plus grand nombre la solliciter ? — L’orgueil arabe se révoltait, disait-on, à l’idée que les Juifs seraient armés pour veiller avec nous à la défense commune. — Mais était-ce donc là une nouveauté ? né figuraient-ils pas déjà dans nos milices avec les Européens et sous le même costume militaire ? Leur gaucherie à l’exercice a été de tout temps un intarissable thème de plaisanteries dans les cafés maures. — Ils allaient faire partie des jurys criminels et à ce titre avoir pour justiciables les musulmans et les chrétiens. — Se sentait-on humilié de les voir siéger en justice ou bien suspectait-on leur impartialité ? Dans le premier cas, il n’y avait pas évidemment à tenir compte de susceptibilités peu respectables ; dans le second, n’était-on pas rassuré en présence du petit nombre d’israélites capables d’exercer les fonctions de juré ? La faculté de récusation ne diminuait-elle pas encore le danger ? Ces injurieuses défiances étaient-elles d’ailleurs justifiées ? Comment les musulmans traduits en cour d’assises auraient-ils redouté l’hostilité systématique des jurés israélites, lorsque certains magistrats du parquet estimaient au contraire que l’introduction de cet élément dans les tribunaux criminels affaiblirait la répression à l’égard des musulmans, pour lesquels, dans l’intérêt de leur commerce avec les douars et par la crainte des vengeances, les Juifs seraient inévitablement plus portés à la mansuétude que les chrétiens ? — La naturalisation des israélites éveillait encore, ajoutait-on, dans l’esprit des musulmans l’appréhension d’une mesure analogue à leur égard dans un temps prochain. — Mais les musulmans s’étaient-ils jamais mis dans le cas d’en fournir le prétexte en réclamant leur assimilation ? La volonté contraire du législateur de respecter leur statut ne résultait-elle point d’un autre décret du 24 octobre, et de ceux des 10, 31 décembre 1870 et 16 janvier 1871 réglant la nouvelle organisation administrative de l’Algérie ? Se serait-il donné tant de mal pour édifier un ordre de choses que son intention eût été de supprimer ensuite à bref délai ?

Non, jamais la naturalisation des israélites n’a inspiré de semblables inquiétudes dans cette population, où le nombre raisonne en définitive avec intelligence sa situation et comprend à merveille que, si nous avons pu sans danger faire présent de notre droit de cité aux Juifs, qui, différant seulement de nous par leur statut relatif au mariage et aux droits de famille, soumis à nos lois pour tout le reste, partageant nos idées sur la propriété, adoptant en grande partie nos habitudes, notre langage et jusqu’à notre mise[4], étaient déjà légalement et de fait à moitié assimilés, nous ne livrerons pas, par la naturalisation collective des musulmans, l’influence politique en Algérie à une majorité hostile. C’est seulement dans nos rangs que quelques exaltés protestèrent contre une assimilation que, dans leur bonne opinion d’eux-mêmes, ils regardaient comme injurieuse. Quant aux tribus, elles ne se plaignirent nulle part. Plusieurs mois après, il est vrai, le 1er mars 1871, des portefaix biskris maltraitèrent quelques Juifs d’Alger et saccagèrent leurs magasins. Sauf cet incident, qui eut pour mobile le pillage, non la politique, où donc s’est-on levé en proférant des menaces contre les Juifs ? Pourquoi la province d’Oran, où l’on compte le plus grand nombre d’israélites, et où les influences religieuses dominent parmi les musulmans, est-elle restée dans le devoir, tandis que celles de Constantine et d’Alger prenaient simultanément feu ? Le musulman distingue-t-il d’ailleurs entre ceux qui ne partagent point sa croyance ? est-ce que, s’il nous craint davantage à cause de notre force, il ne nous hait pas à l’égal des Juifs ?

S’il faut opposer des témoignages à des témoignages, ceux qui ont incontestablement la plus grande valeur dans l’espèce dénient à la naturalisation des Israélites toute influence appréciable sur l’insurrection des tribus. Telle est l’opinion formellement exprimée de M. le général Augeraud, qui commandait la division militaire de Constantine quand le soulèvement éclata. On ne saurait certainement suspecter cet officier-général de faiblesse pour les israélites, et il est au contraire ouvertement sympathique aux Arabes, comme la plupart de ceux qui les ont combattus et administrés. Tel est aussi le sentiment de l’honorable député de Constantine, M. Lucet[5]. A l’autorité déjà si péremptoire de ces attestations émanées de deux hommes que les circonstances rendirent constamment adversaires, mais devant l’un et l’autre à un séjour de plus de vingt années en Algérie de connaître parfaitement la pensée de ses habitants, s’ajoute la force de témoignages fournis par les intéressés eux-mêmes. Ce sont des membres considérables de la communauté musulmane qui les ont donnés. Au mois de mai ou de juin 1871, au plus fort de la lutte contre l’insurrection, quelques notables israélites de Constantine, émus outre mesure du langage agressif d’une certaine presse intéressée à donner à l’opinion publique le change sur les causes de la révolte, qu’elle avait en partie provoquée par ses attaques inconsidérées envers l’autorité et envers l’armée, demandèrent un avis sincère à leurs concitoyens musulmans. Ceux-ci ne firent pas attendre la réponse. « Nous voyons personnellement sans peine votre naturalisation ; elle n’apporte aucun trouble dans l’existence de nos coreligionnaires, et n’excite en rien leur jalousie. » J’ai vu de mes yeux la pièce, délivrée dans des circonstances qui ne permettaient pas de se méprendre sur la portée de cette déclaration catégorique : elle était revêtue de la signature et du cachet des personnages les plus autorisés à parler au nom de l’indigénat musulman provincial[6]. Des enquêtes judiciaires approfondies, complètes, dirigées avec ce sentiment de haute impartialité que la faiblesse humaine permet peut-être d’attendre de ceux-là seuls qui ont charge de punir, et dont les dossiers resteront comme le plus sûr document historique, ont mis en pleine lumière les causes de l’insurrection. La haine du chrétien, le sentiment de l’indépendance, l’espoir de s’affranchir grâce à notre affaiblissement et à nos divisions, tels sont les mobiles qui ont surexcité et armé les tribus. Il s’y joignait des griefs plus personnels chez leurs chefs, qui craignaient de perdre leur situation, et chez qui les allures autoritaires et provocatrices de certains agens subalternes avaient aigri les ressentimens et augmenté les inquiétudes. C’est surtout à des motifs personnels que nous dûmes l’hostilité de l’un des membres les plus importans de l’aristocratie indigène, ce Mokhrani, bach-agha de la Medjana, dont l’exemple entraîna tant de défections. Sans être tout à fait ce chevaleresque personnage[7] que nous ont dépeint des amitiés demeurées en dépit de sa trahison fidèles à sa mémoire, il nous servait loyalement et utilement en retour des bienfaits et des honneurs dont la France avait comblé sa famille. Lors de la terrible famine de l’hiver de 1867-1868, ce fléau qui détruisit un sixième de la population indigène, il s’était, sur notre invitation et avec notre garantie, fortement endetté pour venir en aide aux tribus de son commandement. Après la guerre, ses créanciers, pressés eux-mêmes par d’autres créanciers, le mirent en demeure de s’acquitter. Il se réclama de nos engagemens. Par quelle fatalité put-il penser que le gouvernement nouveau ne tiendrait pas la parole du gouvernement précédent, qui était la parole de la France ? L’irritation naturelle qu’il en éprouva, sa douleur de la chute d’un souverain qu’il affectionnait, la crainte d’un régime menaçant pour ses intérêts de chef arabe, nous imposaient de ménager sa susceptibilité. On acheva au contraire de l’exaspérer en lui faisant redouter la perte de son commandement ou un partage d’autorité avec des rivaux odieux. Il pouvait nous sacrifier ses affections et sa fortune ; mais, se croyant atteint dans son honneur, il ne jugea pas nous devoir plus longtemps une foi que de notre côté nous cessions de lui témoigner. Quoi d’étonnant que dans ces circonstances il soit sorti de sa bouche quelques paroles de mépris à l’adresse des Juifs, qui avaient un des leurs dans les conseils du gouvernement français, de ce gouvernement civil que, comme chef militaire, il n’aimait pas, et auquel il reprochait une double injustice ? Sa mauvaise humeur à l’endroit de la délégation de Tours venait non point de ce que cette délégation se personnifiait à ses yeux dans son président israélite, mais de ce qu’elle constituait un gouvernement civil. C’est ainsi qu’il faut entendre la lettre, orgueilleuse et insultante pour l’autorité française, que de son bordj de la Medjana, où il se sentait momentanément en sécurité, il adressait à un officier auquel il n’eût pas tenu en face avec impunité un pareil langage : « Je ne me soumettrai jamais à un Juif, je n’obéirai qu’à un sabre, dût-il me frapper. » N’est-ce pas là, condensée en une image énergique, toute la théorie féodale sur laquelle reposait l’organisation politique des tribus ?

Dans certains départemens de France, les relations sont plus tendues entre catholiques et protestans qu’en Algérie entre musulmans et israélites. Il ne saurait assurément exister d’affinités sympathiques entre deux races dont l’une aime par-dessus tout l’appareil de la guerre, s’enivre de poudre, professe le culte de la force, et l’autre ne montre d’aptitude que pour les occupations paisibles et pousse même à l’excès ses goûts pacifiques[8]. Toutefois, si la pusillanimité proverbiale des Juifs cause leur déconsidération auprès des Arabes, ceux-ci sont bien obligés de reconnaître sous d’autres rapports leur supériorité. Les chrétiens ont été tolérés dans les pays régis par le Coran, malgré le fanatisme de leurs habitans, parce que les nations chrétiennes pouvaient, en cas de persécution, secourir leurs coreligionnaires ; mais pour que cette poignée d’infidèles, faible, désarmée, sans défenseurs au dehors, facile à anéantir, ait subsisté en Algérie, il fallait qu’une impérieuse nécessité prescrivît sa conservation. De tout temps en effet les musulmans ont dû compter avec les Juifs, parce qu’ils ne pouvaient se passer de leurs services. Comme d’autre part les Juifs ne se fussent pas suffi sans les Arabes, ils tiennent les uns aux autres par les liens de l’intérêt, plus solides que ceux de la sympathie. Les Juifs sont les agens de l’échange universel. Il est dans leur destinée de servir d’intermédiaires entre les peuples, ils faisaient de temps immémorial presque tout le trafic de l’Afrique septentrionale. Par leur habileté dans les opérations commerciales, — seule carrière ouverte d’ailleurs à leur activité, car jusqu’à notre arrivée ils vivaient parqués dans des quartiers spéciaux, avec interdiction de posséder des immeubles hors du rayon de leur habitat, — ils avaient concentré dans leurs mains la fortune mobilière. Ces richesses les faisaient parfois odieusement rançonner par les agens du gouvernement turc ; mais ceux-ci savaient aussi utiliser leur capacité, et les beys, notamment à Oran, prenaient d’ordinaire parmi les israélites le fonctionnaire chargé d’administrer leur trésor. Bien des fois ceux que leur mérite avait ainsi élevés vinrent au secours de leurs frères opprimés, et les légendes locales rappellent par plus d’un trait l’histoire de Joseph. La faveur des beys leur était souvent nécessaire dans leurs rapports d’affaires avec les chefs de tribus placés sous l’autorité des représentans de la Porte. Ces chefs s’adressaient aux Juifs dans leurs besoins pécuniaires, les simples fellah (cultivateurs) et les hadar (bourgeois des villes) y recouraient de même ; le bey assurait à l’occasion le remboursement. Il fallait pouvoir en dernière analyse compter sur ce tout-puissant recours en présence des garanties insuffisantes qu’offrait la justice du cadi ; mais la faveur du pouvoir était sujette à des éclipses, et comme on profitait de chaque disgrâce des Juifs pour mettre leurs biens au pillage, ils prenaient au moyen d’une usure effrénée leurs précautions contre les éventualités. La guerre aux Juifs n’était en somme qu’une forme de la guerre au capital, mais compliquée par des dissidences religieuses. Or, le capital étant un des élémens indispensables de l’existence des sociétés, il fallait faire en définitive aux détenteurs de l’argent des conditions sans lesquelles ils eussent abandonné le pays.

La paix était donc la règle, la persécution l’accident. Cet état offrait de l’analogie avec celui des premiers chrétiens, soumis par la société païenne à des persécutions qui, n’étant ni permanentes ni générales, pouvaient d’ordinaire s’éviter en changeant temporairement de province. Ce déplacement, que les victimes appelaient un exil, suffisait également à mettre à l’abri les Juifs, qui s’accommodaient de ces conditions précaires et savaient même en tirer profit. Aussi les avons-nous trouvés établis non-seulement dans les villes du littoral, où la mer leur offrait un refuge, mais dans celles de l’intérieur, et jusqu’au milieu des tribus, où ils pratiquaient le courtage pour leurs coreligionnaires et exerçaient les professions de bijoutiers, tailleurs, fabricans de chaussures, etc. Partout ils vivaient eh bonne intelligence avec les populations. Ils devaient sans doute s’entendre reprocher souvent leurs « faces jaunes, » leur manque de courage, et ne pas rendre tous les coups qu’ils recevaient ; mais le moyen de se préserver de l’extermination, s’ils eussent été animés du belliqueux esprit des Arabes ? Intrépides comme leurs ancêtres bibliques, les descendans des Macchabées avaient depuis longtemps disparu de l’Afrique et peut-être de la surface du globe.

Ce fut pour nous une bonne fortune, en débarquant sur le sol algérien, d’y rencontrer cette population, qui, pénétrée des avantages qu’elle retirerait de notre domination, mit tout son zèle à nous servir. Ils procurèrent aussitôt des fournisseurs à nos régimens, des guides, des interprètes, et quelquefois des négociateurs à nos généraux. C’est ainsi que le nom de Lasry ne se sépare pas de nos annales militaires dans la province d’Oran. Ils gagnèrent à la conquête française leur émancipation, l’égalité devant la loi, la sécurité, un accroissement consécutif de richesses et d’importance. Par là ils furent appelés à rendre plus de services encore que par le passé aux Arabes, que notre victoire a notoirement appauvris, au lieu d’améliorer leur sort. En se multipliant par suite de l’extension des transactions, les rapports des deux races se sont sous notre surveillance adoucis et resserrés. L’Arabe méprise toujours la timidité du Juif et jalouse sa fortune : mais il ne lui conteste plus sa place légitime dans une société où il apporte de si nombreux élémens de conservation et de prospérité.

De notre côté, nous n’avions à redouter ni danger ni inconvénient de l’assimilation de ce groupe. Les Français d’origine formant toujours l’immense majorité du corps électoral en Algérie, la place publique devait recevoir plusieurs milliers d’électeurs nouveaux, sans que leur inexpérience politique menaçât l’ordre établi. Le péril social écarté, les circonstances étaient telles que les israélites ne pouvaient faire l’apprentissage de la vie politique dans des conditions plus favorables. Leur modération a bien paru d’ailleurs aux élections : à Alger, ils ont, avec Mgr Lavigerie, soutenu M. Crémieux, et à Constantine, M. Lucet contre des candidats plus avancés. — Le décret qui les naturalisait a donc été un acte utile à l’Algérie, qui ne blessait aucun intérêt respectable, et dont il n’est résulté aucun malheur. Cette mesure paraît du reste désormais acquise, puisqu’il n’est pas question de mettre la proposition faite en vue de l’abroger à l’ordre du jour de l’assemblée nationale.
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Condi ... _musulmans
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foxy72
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Re: Histoire des juifs d’Algérie

Message par foxy72 »

@Numidia

Bravo !!!!!

Démonstration limpide et concise.
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anzar
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Re: Histoire des juifs d’Algérie

Message par anzar »

Merci pour la mise au point numidia :)
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numidia
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Re: Histoire des juifs d’Algérie

Message par numidia »

un plaisir les amis :D
il y a beaucoup à dire encore mais ce ne sont que des éléments que chacun est libre de développer, chercher et comprendre
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