La bataille de Souk Ahras, une épopée héroïque de la glorieuse Révolution
Par La Rédaction | 25/04/2014 | 16:47
La grande bataille de Souk Ahras, dont le 56ème anniversaire sera célébré samedi, est sans conteste un moment crucial de la Révolution et de la lutte du peuple algérien pour arracher son indépendance estiment des historiens. Ce haut fait d’armes des Moudjahidine qui débuta à Oued Chouk, le 26 avril 1958, dura toute une semaine.
La bataille s’étendit jusqu’à Ouilene, non loin de la ville de Souk Ahras, puis vers les hauteurs de Hammam N’bails, dans la wilaya de Guelma, faisant 639 martyrs dans les rangs de l’Armée de libération nationale (ALN) et près de 300 morts et 700 blessés du côté de l’armée coloniale.
Selon des sources historiques, le site de la bataille, très accidenté, avait rendu difficiles les déplacements des djounoud, contraignant le commandement du 4ème bataillon de l’ALN dont le QG était installé à Ain Mazer près de Sakiet Sid Youcef (Tunisie) à franchir la ligne électrifiée Morice près de Dehaoura (Guelma) pour envoyer une caravane d’armes en direction de la Wilaya II historique. Cette tentative d’approvisionnement des maquis en armes et munitions a été découverte le 26 avril 1958 par les forces d’occupation, donnant le signal à cette grande bataille.
« Cette bataille qui avait duré une semaine, sans répit, a été particulièrement féroce au point où les affrontements finirent même par des engagements au corps à corps.
Selon le président de l’association des rescapés de cette bataille, le moudjahid Hamana Boulaâras, l’étincelle de cette bataille a eu lieu sur le site montagneux d’Oued Chouk, dans la région de Zaârouria, lorsque des troupes du 4ème bataillon de l’ALN ont tenté de forcer la ligne électrifiée Morice à partir d’Ain Mazer près de Sakiet Sidi Youcef (Tunisie) en direction du village de Djebbar Omar, puis Oued Chouk pour atteindre ensuite Ain Sennour, Machrouha, Oued Cheham puis Dehaoura dans la wilaya II historique.
Selon les instructions données, a dit M. Hamana, il fallait « éviter tout accrochage avec l’ennemi pour ne pas mettre en danger les moudjahidine et amenuiser les armes et munitions transportées ». Il a souligné que les troupes du 4ème bataillon dirigées par le moudjahid Mohamed Lakhdar Sirine étaient assistées de deux katiba de la wilaya II et une troisième de la wilaya III historique.
C’est sur le djebel Bousalah que les premiers accrochages se produisirent entre l’armée d’occupation et l’une des trois katiba qui réussit à couvrir le passage de la caravane d’armes escortée par le reste des troupes de la l’ALN pour armer les maquis des wilayas de l’intérieur, a-t-il raconté.
Une bataille historique
MOUDJAHID-ALN_Les survivants de cet engagement de l’Armée de libération nationale (ALN), aujourd’hui organisés en association, font état de la mort au champ d’honneur de 639 moudjahidine, tandis que les pertes ennemies avaient été estimées à 300 soldats tués et 700 blessés.
Selon le président de cette association, M. Hamana Boularès, l’accrochage initial a eu lieu dans la région de Zaarouria, alors que le commandement de l’ALN avait donné l’ordre d’éviter, autant que faire se peut, tout engagement contre l’ennemi, afin de faciliter le passage des armes sous les lignes électrifiées Challe et Morice.
Le convoi acheminant les armes était protégé par le 4ème bataillon commandé par Mohamed-Lakhdar Sirine (décédé en mars 2007), deux compagnies de la wilaya II et une compagnie de la wilaya I.
C’est au moment du passage du quatrième bataillon et des trois compagnies venant de Tunisie, près de Djebel Salah, que l’accrochage a eu lieu. Le Moudjahid Hamma Chouchène qui était adjoint du chef du 3ème bataillon, se rappelle que la bataille a été dirigée par Mohamed-Lakhdar Sirine, Youcef Latreche et Ali Aboud.
Un « fait unique » dans les annales de la guerre de libération nationale
bataille-de-souk-ahras-300x176Hamma Chouchane, commandant-adjoint du 3ème bataillon, indique que cette bataille constitue un « fait unique » dans les annales de la guerre de libération nationale. Il appelle à préserver cette histoire pour que les générations montantes sachent qu’elles ont un passé glorieux dont elles peuvent s’enorgueillir.
M. Djamel Ourti, professeur d’histoire à l’université de Souk Ahras, affirme que ce fut « l’une des plus grandes batailles de la guerre de libération nationale », dès lors qu’elle avait « équivalu en ampleur à certaines grandes batailles de la seconde guerre mondiale ». En effet, ajoute cet universitaire, l’armée françaises y avait engagé ses unités d’élite les plus aguerries, dont les 9ème et 14ème régiments de parachutistes, les 8ème et 28ème régiments d’artillerie, et les 26ème, 151ème et 152ème régiments d’infanterie mécanique.
Ces unités stationnées à Souk Ahras mais également dans la région avaient pris part à la seconde guerre mondiale et à la guerre d’Indochine, précise-t-il. En face, se sont dressés, ajoute M. Ourti, les unités de l’ALN composées du 4ème bataillon commandée par Mohamed Lekhdar Sirine et ses adjoints Ahmed Draia et Youcef Latreche, ainsi que plusieurs katibas chargées de transporter des armes vers les maquis de Taher (Jilel), de Mila et de Skikda.
Il rappelle que La Dépêche de Constantine (quotidien colonial remplacé à l’indépendance par An-Nasr, ndlr) avait évoqué, au 1er jour de la bataille, l’ALN qui « essaie de franchir la ligne Morice, conduisant à des actions des forces françaises pour intercepter les combattants arabes et leur armement ». Deux jours après, le même journal change de version et parle désormais de « franchissement réussi de l’ALN » et « d’affrontements féroces près de Souk Ahras », indiquant que les combats « impitoyables » engagés ont même fini par des corps à corps et à des accrochages à l’arme blanche.
Témoignages coté Français:
Si le souvenir de cette grande bataille de la glorieuse Révolution demeure encore vivace dans la mémoire collective des habitants de la région et des Moudjahidine de la base de l’Est, il a aussi marqué les esprits dans les rangs de l’armée française.
Cette dernière, en opération dans la région, n’a pas compris ce qui lui arrivait comme en témoigneront plus tard le sergent Lasne et le lieutenant Saboureau, commandés alors par le capitaine Serge Beaumont, officier parachutiste français, qui tombera avec 32 de ses hommes : « que s’est-il passé ? Nous sommes tombés en plein dispositif ennemi. Très supérieurs en nombre, très bien équipés et armés, les +fellagha+s dissimulés dans les arbousiers ont usé d’un stratagème. Notre habitude de l’emporter sur l’adversaire est telle que lorsque, à quelques mètres, les +rebelles+ se découvrent, vision impressionnante de casquettes kaki et feignent de se rendre les bras levés, nos parachutistes cessent de tirer et se lèvent pour les capturer. A ce moment-là, un coup de sifflet strident déclenche avec une violence extrême des tirs à la cadence très rapide de mitrailleuse MG 42 – excellente arme allemande qui équipe fréquemment l’ALN – qui déciment les nôtres ».
« Hélas, c’est au nombre de plusieurs compagnies que les rebelles étaient arrivés de Tunisie, et la 3ème Compagnie se trouvait, aussitôt s’être posée, encerclée par deux compagnies ennemies. Pour augmenter encore leurs chances et ne reculant devant aucun procédé, les rebelles feignant la reddition se sont approchés, levant les bras pour, traîtreusement, donner l’assaut de plus près, manœuvrant au sifflet comme dans la répétition d’une leçon bien apprise. Des combats singuliers se sont alors déroulés au cours desquels toutes les actions individuelles sont devenues des actes d’héroïsme semblables à tous ceux dont a été faite la grandeur de notre pays et le passé glorieux de notre Régiment ».
Extrait de l’ allocution prononcée par le Lieutenant Colonel Buchoud Commandant le 9ème Régiment de Chasseurs Parachutistes le 5 mai 1958 au cours des Obsèques des Tués des Combats du 29 avril. C’est également ce jour que le Capitaine Beaumont Serge y laissa la vie.
Officiers, Sous Officiers, Caporaux Chefs, Caporaux et parachutistes du 9e RCP.
Commandant le 9ème Régiment de Chasseurs Parachutistes
Du 28 Avril au 4 Mai, vous venez de gagner la deuxième manche. Le rebelle avait décidé de franchir le barrage en force. Il a choisi pour appliquer son effort la région de Souk Ahras, la zone qui vous était confiée. En quatre jours, il a réussi à faire franchir le barrage à 7 de ses compagnies et en particulier aux trois compagnies de son 4e Faïlek qu’un des siens définit ainsi dans son carnet de marche, quelques heures avant de mourir : Le 4ème bataillon de choc a quitté Sakiet le 24 avril 1958. Nous avons fait halte. Les sections gardent les crêtes. Les guetteurs sont vigilants. Le 4ème Bataillon de choc doit porter un grand coup aux forces françaises. Aujourd’hui, 5 jours plus tard, le 4ème faïlek est détruit et son chef Latrech Youssef est tué. Actuellement, les 7 compagnies, ayant franchi le barrage ont été aux trois-quarts anéantis. Sur 820 hors-la-loi passés, 620 sont tués ou prisonniers. Les autres, blessés ou dispersés, seront retrouvés dans quelques jours. Il ne vous a fallu que trois jours pour faire cela. Cette victoire dont je tiens à vous marquer l’importance, a été remportée grâce au sacrifice de vos camarades tués, grâce aux souffrances de ceux qui sont blessés, grâce à vos efforts. Soyez en fiers, « soyez en grandi
Témoignage du Lieutenant Chatagno
Vers 15 h, le Colonel Buchoud décide d’investir le djebel Mouhadjen par un assaut vertical du 9ème RCP. A 15 h 30, la 3ème compagnie est posée en 2 rotations d’hélicoptères. L’ennemi ne se manifestera qu’au posé de la 2e rotation. Successivement sont mises en place :
la 1ère section ( Lieutenant Thierry ) au Nord, la 2ème section ( Lieutenant Saboureau) au centre, la 3ème section ( Lieutenant Chatagno ) au Sud, la section de commandement (Adjudant Verscheure ) entre la 2ème et la 3ème
L’ennemi a tiré sur les hélicoptères, un des appareils a été touché. Très supérieurs en nombre, remarquablement instruits, ces ennemis semblent vouloir se rendre. Ils crient « ma tiri che » (ne tire pas ) et se lèvent, armes à bout de bras. Profitant de la surprise causée par ce stratagème, manœuvrant au sifflet, l’ennemi donne plusieurs assauts à la 1ere section qui subit de lourdes pertes.
Les gars de la 3ème compagnie se ressaisissent et font front avec vigueur. A 600 mètres, d’autres unités fellaghas approchent. L’Adjudant Verscheure fait aussitôt mettre son mortier de 60 en batterie et tire à vue sur ces renforts, mais il a vite épuisé ses munitions. Le Caporal Andrejak met alors en œuvre son canon 57 SR. Repéré, il ne tarde pas à être touché, mais il trouve la force de cacher son arme sous des feuillages avant de mourir.
La présence de nombreuses unités sur le terrain et la proximité du barrage électrifié rendent les liaisons radio difficiles. Pour améliorer cette liaison, le Capitaine Beaumont fait déployer la grande antenne de son poste ; mais il se fait ainsi repérer et reçoit une première balle. Néanmoins, il donne l’ordre à sa 3ème section de se porter en soutien de la 1ère qui se fait déborder. Ne pouvant laisser à l’ennemi le point fort qu’elle tient, cette 3ème section se scinde en deux. Une demi-section se porte vers la 1ere, sous le feu redoublé de l’ennemi.
L’engagement est de plus en plus violent, les pertes nombreuses. Les blessés se regroupent en retrait autour de l’infirmier de compagnie et constituent une nouvelle section où les moins touchés soutiennent leurs camarades plus atteints. Les munitions manquent et les survivants récupèrent les chargeurs sur les morts. Le Capitaine est blessé une 2ème fois, il demande un impossible parachutage de munitions. Le Capitaine meurt !
Ce que voyant, le Lieutenant Saboureau, pour galvaniser les hommes de la Compagnie, se lève et marche à l’ennemi en criant « ressaisissez-vous, nom de Dieu » Alors, des combats singuliers, presque au corps à corps , se déroulent sans coordination et les fellaghas, de plus en plus nombreux, débordent par les ailes et encerclent maintenant la compagnie. On nous tire dans le dos.
Désormais le seul point de terrain où on peut se raccrocher est une zone rocheuse plantée de quelques arbres à trois cents mètres à l’Ouest. S’appuyant sur ce point fort, guidé par le Lieutenant Rouchette, adjoint de la compagnie, les survivants vont tenter une percée vers l’ouest. Au pas, portant leurs blessés, tirant leurs dernières munitions, ils passent. Mais derrière eux, les fellaghas, debout en arc de cercle, les tirent comme des lapins.
Le parachutiste Briskalter se retourne alors, braque son FM, et marche à l’ennemi. Seul, il oblige toute une compagnie à cesser son tir et à se protéger dans les buissons. Conscient de son sacrifice, il va jusqu’au bout, rejoignant par son acte magnifique les plus grands héros de l’histoire militaire française.
Le Lieutenant Rouchette a réussi à entrer en liaison avec une patrouille de chasse et a demandé la neutralisation de l’ennemi. Alors, l’aviation d’abord, puis l’artillerie, vont permettre aux survivants de se regrouper dans l’oued Dekma, et de remettre les blessés entre les mains du service de santé.
Il est 18 heures, la compagnie se bat depuis 15 h 30 . Entre temps, la 2ème compagnie du Capitaine Gueguen avec la section Bechu en tête, a réussi à repousser l’ennemi sur le Mouadjène. Elle donne cette information tragique : aucun survivant n’a été retrouvé sur les lieux du combat. Le bilan est extrêmement lourd. La 3ème compagnie compte 27 morts et 28 blessés. : moins de 40 hommes restent valides.
Dans la nuit, après avoir fait le point avec les rescapés de la compagnie, le Colonel Buchoud a l’intention de récupérer le corps du Capitaine Beaumont et de ses compagnons d’armes. »Tous les rescapés de l’unité sont volontaires pour repartir avec leur Colonel ».
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