Bo Xilai le sacrifié
En le condamnant à la prison à vie, le régime chinois a sacrifié son enfant terrible au nom, notamment, du maintien de la direction collective.
La direction du régime n'y est pas allée de main morte pour écarter de la vie politique le remuant et charismatique Bo Xilai. L'ancien dirigeant de Chongqing, qui ambitionnait l'an dernier d'entrer dans le cercle très étroit des sept hauts responsables qui dirigent la Chine, a été condamné ce dimanche à la prison à vie par la Cour populaire de Jinan (Shandong) où avait eu lieu son procès fin août. C'est donc, à moins d'un nouveau rebondissement, la fin du feuilleton réalitico-politique qui tenait la Chine en alerte depuis février 2012. Âgé de 64 ans, Bo était accusé de corruption (il aurait accepté 20,44 millions de yuans de pots de vin, soit environ 2,55 millions d'euros), de détournement de fonds et d'abus de pouvoir.
Prêt à retourner plus tard à la vie politique
Si une partie de ces accusations semble avérée, nul ne met en doute le fait que le procès est avant tout éminemment politique. De par son ambition et également son talent, Bo Xilai menaçait la structure de direction collective du régime. "Les libéraux redoutaient de voir cet homme, qui a déjà montré sa capacité à mobiliser les foules, profiter un jour ou l'autre d'une dissension au sein de la direction à sept, pour tenter de récupérer le pouvoir pour lui seul. Et les Chinois ont assez souffert des dérives d'empereurs autocrates (allusion à Mao, NDLR) pour ne pas courir le risque de faire entrer un politicien de ce type au sein de la direction centrale", explique un conseiller de l'ancien Premier ministre.
Dans une lettre à sa famille rendue publique cette semaine par le quotidien de Hong kong South China Morning Post, Bo Xilai affirmait qu'il était prêt, comme son père, à endurer la prison pour retourner plus tard à la vie politique - Bo Yibo, disgracié par Mao, fut condamné à sept ans de prison pendant la Révolution culturelle, puis réhabilité. Mais en requérant la peine maximale, le régime ne lui laisse guère d'espoir. Bo a théoriquement dix jours pour faire appel, mais il semble peu probable que le verdict, qui a été tranché en haut lieu, soit revu à la baisse.
Dans sa lettre, Bo a également incité ses fils à "prendre le relais" en politique. "Bo Xilai pourra peut-être dans quelques années voir sa peine écourtée pour bonne conduite ou problèmes de santé, comme ce fut le cas pour l'ancien maire de Pékin, condamné en 1995 à 15 ans de prison et qui a été libéré trois ans avant le terme de sa peine", risque un avocat, sans trop sembler y croire. Bo Xilai, qui, tout au long de son procès, a assuré sa propre défense avec conviction, réfutant toutes les accusations au point de raviver sur les réseaux sociaux la passion d'une foule qui suivait sa mise à mort politique comme un feuilleton, a conservé sans doute trop de superbe pour inciter ses adversaires à la clémence...
Lutte anticorruption
De plus, ses appuis se font plus discrets. L'étau s'est resserré ces dernières semaines autour des principaux réseaux que comptait Bo. Au sein même de l'équipe dirigeante sortante, l'ancien chef de la sécurité Zhou Yongkang, (qui faisait partie des neuf membres permanents de la direction collective) "coopère avec les enquêteurs", a annoncé début septembre l'agence Chine nouvelle. Une manière de dire que l'ancien allié de Bo, qui n'a pas été vu en public depuis sa mise à la retraite en mars dernier et pourrait être en résidence surveillée, l'a sans doute lâché et livre des noms. Les soutiens connus de Bo dans le secteur militaire sont également "partis à la retraite" plus tôt que prévu.
Quant aux grandes sociétés d'État, qui constituaient de véritables "noeuds d'intérêts" que dénonçait l'ancien Premier ministre sans avoir réussi à les dénouer, elles sont encore sous le choc de la campagne en cours contre le "camp des pétroliers" à la suite de la mise en examen pour corruption, début septembre, de Jiang Jiemin, l'ancien président de la CNPC (Corporation nationale chinoise du pétrole) qui était également le président en titre de l'Agence de supervision des sociétés d'État. "Dans sa lutte anticorruption, la nouvelle direction a décidé de taper fort sur les sociétés d'État pétrolières, souvent dirigées par des Princes rouges, dont une partie des fonds servait à financer leur poulain politique", explique un banquier chinois. L'ancien ministère du pétrole et les sociétés d'État pétrolières étaient réputés de longue date pour être un vivier de "durs" proches de Bo Xilai.
Réglementation "anti-rumeurs"
Par ricochet, le fil rouge semble remonter au travers des réseaux politiques jusqu'à Zeng Qinhong, l'ancien bras droit du chef d'État Jiang Zemin (au pouvoir de 1989 à 2003) qui a imposé à son successeur (le président Hu Jintao, au pouvoir de 2003 à mars 2013) une sorte de cohabitation non officielle qui ouvrait la voie à toutes les dérives possibles. Sorti de la vie politique depuis 2007, Zeng Qinghong restait jusqu'à ce jour très influent parmi l'un des cercles des Princes rouges et dans le réseau des Shanghaiens. Selon des informations concordantes, le fils de Zheng Qinghong, qui a développé un empire économique en Australie, serait "interdit de retour" en Chine. Le nettoyage anticorruption finira-t-il par toucher l'ancien président Jiang Zemin ? Cela semble peu probable, ce dernier, âgé de 86 ans, ayant accepté de jouer le rôle de mentor du nouveau président Xi Jinping et étant enfin "parti à la retraite" depuis le mois de février. "Plus probablement, il a reçu l'assurance que son cercle proche ne serait pas touché et en échange accepte de lâcher quelques vieux amis", explique un professeur de Sciences politiques chinois.
Quant aux blogueurs qui pouvaient tenter d'exprimer sur les réseaux sociaux leur sympathie pour Bo Xilai, ils sont frappés par la nouvelle réglementation "anti-rumeurs" qui a entraîné depuis le début du mois de septembre un tour de vis sur Internet et ne permet plus aux voix discordantes de s'exprimer sur le sujet. Du coup, même les blogueurs les plus en vue restent ces derniers jours silencieux et le grand public est des plus prudent.
Redonner une légitimité au parti communiste
Dans ce grand ménage de la scène politique chinoise, au nom de la lutte anticorruption, le nouveau président Xi Jinping est en train d'affirmer son pouvoir, tant pour redonner une légitimité au parti communiste que pour permettre au Premier ministre de réaliser le programme de réformes économiques et sociales annoncé au mois de mars. Avec le verdict prononcé contre Bo Xilai, c'est aussi le "modèle de Chongqing" qui est enterré. Du temps de sa splendeur, à la tête de la ville la plus peuplée de Chine (Chongqing, 33 millions d'habitants), Bo Xilai avait en effet tenté de proposer un autre modèle de développement pour le pays, à grand renfort d'investissements publics dans le domaine économique, d'une main de fer sur la sécurité et les entrepreneurs privés qui n'acceptaient pas d'entrer dans son allégeance. Le populisme flottait dans la région, sur fond de nostalgie de l'ère maoïste. Un cocktail jugé explosif à Pékin.
La nouvelle direction chinoise a clairement tranché en faveur du maintien de la direction collégiale fixée voilà vingt ans par le père des réformes et de l'ouverture, Deng Xiaoping, et entend poursuivre ce programme. Elle veillera désormais à accorder une plus grande autonomie financière aux entreprises privées, afin de détruire le monopole des grandes entreprises d'État et leurs possibles dérives politiques... Mais combien de temps ces entrepreneurs privés accepteront-ils de travailler et de s'enrichir sans pouvoir s'exprimer ?
http://www.lepoint.fr/monde/bo-xilai-le ... 955_24.php
Une chose est sur, on entendra encore parler de Bo Xilai ou de ses fils.